Creatalk #1 : Victor Laborde, "Poète-Photographe"

Victor Laborde est un photographe et réalisateur autodidacte parisien. Il travaille principalement dans la musique, avec notamment des artistes comme Rilès, Disiz, Georgio, ou encore Petit Biscuit. Dans cette interview, on aborde divers sujets à travers le prisme de sa vision artistique de la photographie.

Malik Benissa

3/17/20225 min read

Pourquoi le choix de l’analogique ?

J’ai commencé par le numérique il y a de cela 12 ans, grâce à mon père qui faisait de la photographie. J’ai ensuite switché pour l’analogique il y a 4 ans. Quand on me pose cette question, la réponse que je donne tout le temps c’est que « j’adorerais shooter au numérique », mais je n’ai pas le choix esthétiquement que de travailler à l’analogique. À chaque fois que je retourne au numérique, je n’apprécie pas mes photos.

En tournée toutefois je shoot quasi intégralement en numérique, j’ai fait cette semaine trois concerts et l’obligation d’obtenir et traiter les photos rapidement m’oblige à utiliser du numérique.

Tu as le sentiment de perdre en efficacité en photographiant à l’argentique ?

Au début oui, j’étais un peu perdu dans le processus de photographie et de traitement de la photo. Mais avec l’expérience j’ai un processus qui fait que tout va très vite : j’ai mon labo, je sais comment je reçois mes photos. Aujourd’hui je suis beaucoup plus efficace à shooter à l’argentique qu’au numérique étant donné que je n’ai plus à me soucier de vider les cartes mémoires, traiter les photos, les éditer…

Généralement lors d’une journée de shoot, le soir même je passe au laboratoire déposer mes pellicules, et le lendemain j’ai mes photos.

Cela demande davantage de patience ?

J’ai aussi appris à avoir cette patience, et l’argentique donne un avantage qui pour moi est indéniable : tu prends beaucoup plus le temps de faire les photos et tu penses beaucoup plus aux photos que tu veux faire. Les photos existent déjà dans ma tête, donc une fois que le set est prêt, que tout est prêt, je fais la photo que je m’étais déjà visualisée, donc j’ai la patience de l’avoir plus tard. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise façon de shooter d’après-moi, mais j’ai personnellement ce côté très cartésien qui fait que j’aime que tout soit carré. J’ai appris à réfléchir aux concepts de shoot et les travailler en amont, ce qui me fait aujourd’hui gagner un temps énorme.

“Les photos existent déjà dans ma tête, donc une fois que le set est prêt, que tout est prêt, je fais la photo que je m’étais déjà visualisée”

On a l’impression que la musique a une grande part artistique dans tes photos, comment concilies-tu ces deux mondes ?

La musique a toujours eu une part importante dans ma vie, et j’ai mis longtemps à réaliser que tout le monde n’avait pas ce même rapport à la musique. J’aime beaucoup la poésie, la douceur et la précision des mots, et c’est vrai que la musique peut énormément me toucher à travers la manière dont les sentiments sont transmis. Ce sont donc des univers qui se rejoignent, car pendant longtemps les photos que j’essayais de faire visaient à être très poétiques. J’y retourne d’ailleurs de plus en plus, vers ce concept de « poète-photographe ».

Qu’est-ce qui différencie un “poète photographe” d’un photographe ?

C’est une différence de vision dans la photo. Je pense avoir réussi à le définir l’année dernière à travers un débat que j’ai eu avec un ami sur le fait de savoir quels images on aime créer. Il en est ressorti que deux choses qui me touchent le plus sont la force et le caractère dans l’image, et la poésie. C’est Disiz qui m’a fait renouer avec cette poésie dans mes images puisqu’il arrivait à être touché par les mêmes photos que moi, qui pourtant n’étaient pas forcément les plus réussies ou celles que l’on allait partager. Ça m’a permis de me reconcentrer sur ça, ce sentiment de sensibilité que peut dégager une image à travers ses couleurs, sa composition, son environnement.

“J’y retourne d’ailleurs de plus en plus, vers ce concept de « poète-photographe”

C’est à la recherche de cette sensibilité que tu concentres ton travail principalement autour du portrait ?

Lorsque tu fais un portrait, tu sais qu’il n’y en aura jamais deux qui se ressemblent. Ton sujet étant vivant, chaque seconde de sa vie va être différente, le portrait vient donc immortaliser ce moment de vie précis. Il n’y aura jamais cette même énergie, le même sentiment que l’on peut lire dans son regard. Le portait permet aussi pour moi de donner une porte vers l’humain : la personne représentée dans l’image donne un bout de son âme et de son image qui fait que l’on peut avoir accès à une part d’elle. Enfin, je suis un grand amoureux des souvenirs, j’adore avoir des souvenirs et créer des images de certaines personnes revient à créer leur intemporalité.

Comment dirais-tu que tu as évolué artistiquement depuis tes débuts ?

Je pense que l’évolution esthétique vient énormément de ce que l’on regarde. Quand on est artiste, ce que l’on regarde ou écoute influence énormément ce que l’on crée. Je me rends compte aujourd’hui que les images que je fais tendent à aller vers mes références, et c’est vrai que mes goûts ont lentement penchés vers des photographes de mode qui me parlaient énormément comme par exemple Nadine Ijewere, qui est une photographe londonienne que je surkiffe à mort. D’autres se sont rajoutés progressivement, je peux citer Dan Martensen, Tyler Mitchell… Les images de ces photographes m’ont mis une claque, et leur travail tendait principalement vers des couvertures de magasine, ou des campagnes pour des marques comme Calvin Klein ou Ralph Lauren… ça a donc étendu mes horizons et j’ai appris à travailler différemment en essayant de reproduire ce que je kiffe.

Et pour la suite ?

Mon objectif, c’est un peu faire ce que fait Spike Jones. Il ne se limite pas à un seul truc en particulier sans pour autant se perdre. Il réalise des films, comme par exemple Her qui est selon moi une œuvre incroyable, des pubs comme celle pour Apple que je trouve génial, et il fait des clips ou encore des photos comme il l’a fait pour Daft Punk ou Travis Scott. C’est donc vraiment toucher à ces milieux en tant que réalisateur et photographe en disant je fais ce qui me plaît et je consacre ma vie à différentes formes d’arts. Pour être plus concret, j’ai pour objectif en tant que réalisateur de faire des longs métrages, tout en continuant à me concentrer sur la photographie.

“je fais ce qui me plaît et je consacre ma vie à différentes formes d’arts”

Qu’est-ce qu’un bon photographe selon toi ?

Je dirais qu’un bon photographe est celui qui arrive à créer une image fidèle à sa vision. Quelqu’un qui prend une photo qui ne parle à personne, mais qui est fidèle à sa vision et qui traduit son cœur, c’est un bon photographe. Ensuite, je pense qu’un très grand photographe est celui qui sait quels moments méritent d’être immortalisés, et qui sait le faire. Je dis très souvent qu’être photographe, c’est savoir quand il ne faut pas prendre de photo.

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